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    Sommaires des différents articles : 

    1- BL & Consentement

  • BL ET CONSENTEMENT

     

    BL et consentement

     

    Dans le cadre d'un questionnaire, j'ai été amenée à réfléchir à un sujet que je trouve tout à fait passionnant : la notion de consentement dans les BL. J'avais déjà évoqué rapidement le sujet lorsque j'ai traduit Cutie Pie et j'ai pensé qu'en faire un article pourrait être intéressant et donner matière à débattre. Pourquoi ne pas mettre alors en lumière différentes problématiques relatives aux BL ?

    Ne vous inquiétez pas, toutes les notions seront expliquées. Au départ ce sera un peu théorique, mais c'est essentiel pour partir du même point de départ.

    Je tiens à préciser dès à présent qu'il y a des séries que je vais citer que j'aime beaucoup. J'en ai vu certaines à plusieurs reprises et j'en ai traduites. Mais ça n'empêche en rien de poser un regard critique sur elles. Je vous informe également que je vais spoiler en partie des séries mais la plupart sont très connues et ne sont pas en cours de diffusion. Cet article a été écrit il y a quelques mois, ne soyez pas surpris.e de me voir parler de KinnPorsche comme si la série venait de sortir.

    Notez aussi que je ne lis pas de yaoi, il n'y aura donc pas de parallèle avec ces lectures. Ce qui m'intéresse ce sont les séries, en particulier thaïlandaises à un instant T.

    Il s'agit aussi uniquement de mon point de vue, qui n'engage en rien les autres membres de l'équipe de traduction.

    Pour aller plus loin n'hésitez pas également à faire un tour sur tous les liens cités et à débattre en commentaires.

     

    Définition du consentement et de la zone grise

    Pour commencer je vais redonner la définition du consentement sexuel selon Amnesty International, pour qu'on parte tout·e·s du même point de départ. Il peut être défini, de la manière suivante " l’accord libre et éclairé que l’on donne à une personne au moment d’avoir une activité sexuelle. Ce consentement doit être mutuel [...] Le choix doit être totalement volontaire, c’est-à-dire que le consentement ne peut pas être obtenu par la crainte, la force, sous l’usage de menaces, de chantage ». Notez qu'au delà de cette définition, il y a des textes juridiques internationaux sur lesquels une victime peut s'appuyer pour une action en justice par exemple.

    Au niveau européen, cette notion de consentement est prévue dans la Convention d'Istanbul, qui donne une interprétation similaire : Pour qu'un consentement soit valide, la personne qui le donne doit pouvoir faire et exprimer un choix libre et éclairé. « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes »2.

     Quid alors de la fameuse « zone grise3 », tant décriée ?

    Toujours selon Amnesty International, on considère qu'il n'y a pas consentement lorsque :

    1. La personne dit non ;
    2. Elle ne veut plus ;
    3. Elle est dans un état second ou inconsciente : elle n’est pas en état de donner un consentement libre et éclairé parce qu’elle dort, est inconsciente, sous l’emprise de l’alcool ou encore de la drogue ;
    4.  Elle hésite et n’a pas clairement exprimé qu’elle est d’accord ;
    5. Le consentement n’est pas donné par la personne elle-même.

    Et d'ajouter que cette fameuse "zone grise" du consentement fait partie de la "culture du viol". À savoir tout un ensemble de croyances et comportements qui justifient, excusent ou banalisent les agressions sexuelles sans les considérer pour ce qu'elles sont vraiment. Typiquement cette idée que "non" voudrait en faire dire "oui", ça fait partie de la culture du viol. La Belle au bois dormant qui se fait embrasser pendant son sommeil, totalement à la merci du Prince, également4. Culpabiliser une victime qui subit, normaliser la violence, présenter les hommes comme des êtres incapables de contrôler leur désir aussi. Et tout ça, c'est important de le garder à l'esprit.

    Je sais que s'interroger sur le consentement et la culture du viol c'est parfois violent, parce que c'est aussi se questionner sur ses propres pratiques ou celles de ses proches, sur ce qu'on a pu faire avant #MeToo, avant d'être éclairé·e·s ou avant de s’intéresser au sujet. Et pourtant c'est essentiel.

     Maintenant que les bases sont posées, on peut commencer à réfléchir en termes de BL.

    1 - Je vous renvoie au podcast toujours très inspirant que j'ai beaucoup cité sur le blog BL Clinic « Sex in BL : Is it really necessary ? » mais j'y reviendrai dans l'article suivant.

    2 - Contrairement à ses obligations après la ratification de la Convention d'Istanbul, le France ne respecte pas ses engagements internationaux. En effet, la loi française ne définit pas le consentement sexuel, cette notion est d'ailleurs absente du code pénal, même si elle constamment invoquée dans les jugements. Les agressions sexuelles ou les viols sont caractérisés en droit uniquement par l'existence de violence, contrainte, menace ou surprise. Encore faut-il toutefois, que l'accusé ait eu conscience de son agression. Ainsi, en première instance, dans l'affaire Darmanin où celui-ci consent à aider Sophie Patterson, une ancienne militante de l'UMP en échange de relations sexuelles, le juge d'instruction écrit : « Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d'imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise ».

    3 - La « zone grise » c'est ce dont certaines personnes, notamment les agresseurs trouvent comme circonstances atténuantes pour ne pas qualifier un viol ou une agression sexuelle comme tels.

    4 - Pour rappel, dans la version d'origine de 1634 intitulée "Le Soleil, la Lune et Thalie" de Giambattista Basile, c'est en étant violée par le Prince qu'elle se réveille.

     

    Viols en séries

    Dans sa vidéo The issue with consent in thai bl's5, le youtubeur Buylsarang présente l'usage de deux termes en thaï : le premier ปล้ำ [bplâm] pourrait être traduit par « lutte » ou ปลุกปล้ำ [bplùk bplâm] - « le fait d'être forcé.e à » - tandis que le second ข่มขืน [kòm kèun] se traduirait par « viol ». En réalité les deux font référence à la notion de viol, tant et si bien qu'il est difficile pour nous, qui n'utilisons qu'un terme en français, d'en saisir la différence6.

    Il cite deux séries dans lesquelles le mot « viol » ข่มขืน [kòm kèun] est employé : Tharntype (lorsqu'au téléphone Tar reproche à Lhong d'avoir payé des gens pour le violer) et dans Love By Chance lorsque le personnage de Tar interprété par Cooheart dit clairement s'être fait violer. Ici le sens est clair, durant les épisodes on comprend à la fois le statut des victimes et les traumatismes qui en résultent.

    Buylsarang explique que le second terme, ปล้ำ [bplâm], employé plus fréquemment, est considéré comme plus doux, moins « grave ». Dans les BL, il fait souvent référence au fait qu'une personne refuse au départ un rapprochement, pour finalement accepter. Et c'est là que la carte très problématique de la « zone grise » est dégainée. Alors que je le rappelle, un non est un non. On sait que cet arc narratif « enemies to lovers7 » est un classique dans les BL, mais doit-on réellement en passer par une confrontation physique et un déni du consentement de l'autre ? Pourquoi nier les potentielles conséquences traumatiques de ce type d'acte ? Et pourquoi en donner une image positive ?

     Nombreuses sont les séries thaïlandaises qui romantisent des viols. Dans un article de Vice8, le lakorn9 Wife on duty est évoqué : un passage montre une femme qui se fait enchaîner et agresser sexuellement. Il n'est pas question de romance entre les deux personnages, mais la diffusion a été éminemment critiquée, tant et si bien que le public a créé un hashtag #NoMoreRapeOnScreen partagé 275 000 fois. Il y a quelques années, la pétition Arrêtez de propager le viol comme une pratique courante10 a été lancée sur change.org pour dénoncer cette banalisation des viols dans les médias thaïlandais : elle a été signée 62 612 fois. Mais on retrouve aussi régulièrement dans les lakorn l'idée de slap-kiss, lorsqu'un protagoniste masculin force un baiser ou une relation sexuelle et que la femme le gifle (parfois la gifle intervient avant le baiser forcé). L'homme est si frustré, qu'il exprime son désir avec violence. Et c'est suite à cela que leur amour éclot. Le comble du romantisme …

    On trouve même sur Youtube des tops 10 des relations forcées dans les lakorn11, pour les fans du genre.

    On pourrait tout à fait se dire que c'est un problème relatif à la Thaïlande et rien de plus. Qu'après tout, nous ne pouvons pas poser le même regard sur les séries thaïlandaises que les séries occidentales et qu'il ne faut pas les regarder via notre prisme. C'est à mes yeux une façon de se dédouaner. Avez-vous déjà regardé Game of thrones ? Il a justement été décidé récemment que la nouvelle série House of the dragon ne comprendrait pas de scènes de viols tant elles ont été problématiques dans la série originelle 12.

     Pourquoi c'est si important de se pencher sur la question de la culture du viol dans les séries ? Parce qu'elles forgent nos regards, pénètrent nos imaginaires et par la même influent sur nos comportements. Alors non, je ne sous-entends pas que si vous regardez une scène de crime, vous allez sortir avec un couteau de cuisine dans la rue. Mais à force de voir représentés dans les films des viols commis par des inconnus qui se passent dans des endroits sombres, n'avons-nous pas cette image de ce que serait un viol13 ? Alors qu'une infime minorité se passe de cette manière. Et c'est bien en ayant cette idée préconçue de ce qui fait un « vrai viol » qu'on en vient à se demander lorsqu'on sort de ce schéma si la victime, après tout, ne serait pas un peu coupable elle aussi. Si en fait, son « non » ne voulait pas un peu dire « oui ». C'est également à force de voir des slap-kiss qu'on en vient à normaliser ce type d’attitude, voire à le considérer avec excitation.

    Mais le problème est plus global, il s'agit de poser un regard sur les relations asymétriques en général. Et dans les séries, ce qui va de pair avec ce concept, ce sont souvent des attitudes masculines présentées comme romantiques : une forme de toxicité qui ne dit pas son nom, une jalousie maladive et une bonne dose de domination. Je vous renvoie à cette tendance des films à succès tels que 50 Shades of grey ou 365 jours. Ils mélangent romance et asservissement. C'est intéressant par ailleurs de voir le succès de bon nombre de séries dans lesquelles l'un des protagonistes stalke l'autre durant une bonne partie de la série, quand bien même il essuierait des multiples refus. Mais j'y reviendrai. On ne va pas se mentir, nous sommes toutes et tous biberonné·e·s à la culture du viol.

     

    5 - The issue with consent in thai bl's par Byulsarang : https://www.youtube.com/watch?v=8xHLI2ibTbE&t=270s

    6 - Le mot « harcèlement sexuel » quant à lui se dit ล่วงละเมิดทางเพศ (lûuang lá-mêrt taang pêt )

    7 - Lorsque des ennemis tombent amoureux et finissent par devenir un couple

    8 - https://www.vice.com/en/article/g5ben3/thai-tv-problematic-sexual-assault-rape

    9 - Synonyme de « série thaïlandaise ».

    10 - https://www.change.org/p/nbtcupdat-เลิกเผยแพร่คติการล่อลวงข่มขืนว่าเป็นสิ่งปกติ

    11- « Top 10 New Forced Relationship Romance in Thai lakorn » , https://www.youtube.com/watch?v=vqHMCafFwPY

    12 - « Rape in ASOIAF vs. Game of Thrones : a statistical analysis https://tafkarfanfic.tumblr.com/post/119770640640/rape-in-asoiaf-vs-game-of-thrones-a-statistical

    13 - En réalité près de 91% des agresseurs sont des proches des victimes - https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ega/l15b0721_rapport-information#P122_5245

     

    Le regard du spectateur vs celui du réalisateur

     

    Revenons aux BL. Si je pense aux séries qui me semblent avoir très bien marché ces dernières années, et qui bénéficient d'un honorable classement sur MyDramaList - A Tale of Thousand Stars, Bad Buddy, Gaya Sa Pelikula, I Told Sunset About you ou au phénomène 2gether, il n'y a pas dans mon souvenir dans les histoires principales d'entorses faites au consentement. Cependant, on ne peut nier que certaines séries qui fonctionnent à merveille en termes d'audience gèrent mal ces questions et là je pense en particulier à KinnPorsche qui fait un carton en ce moment ou Tharntype.

    Les deux séries posent de vrais problèmes :

    - Dans la première le personnage de Porsche14 est alcoolisé/drogué au moment où Kinn décide de coucher avec lui par deux fois. Il regrette la première fois, conscient de l'état de son garde du corps, pour finalement revenir à la charge quelques épisodes plus tard lorsqu'ils formeront un couple. On repassera sur le consentement éclairé ... Et personne ne semble y voir de problème. Dans la seconde scène, Porsche est totalement sous l'emprise de l'alcool, tandis que Vegas tente de l'agresser sexuellement, c'est alors que Kinn, le partenaire du héros, arrive comme un sauveur pour finalement coucher avec lui. Porsche enivré est alors totalement incapable de donner son accord ou de refuser. Pour rappel, les agressions sexuelles dans le couple, ça existe.

    Il y a aussi la romantisation d'une scène de BDSM entre Vegas et Pete qui est extrêmement mal traitée, tout comme cette pratique l'est dans Fifty shades of grey. Les pratiques BDSM sont codifiées, elles sont soumises à des règles et c'est plus dangereux qu'autre chose de les traiter en ne maîtrisant pas son sujet. La sortie de 50 nuances de Grey a fait beaucoup de mal aux adeptes de ces pratiques. Un article de The Atlantic dédié au sujet explique : "Comme plusieurs personnes expérimentées adeptes du BDSM me l'ont indiqué, il existe des moyens sains et éthiques de combiner de manière consensuelle sexe et douleur. Tous nécessitent une connaissance de soi, des compétences en communication et une maturité émotionnelle afin de rendre le sexe sûr et mutuellement gratifiant. Le problème est que Fifty Shades of grey associe avec désinvolture le sexe torride à la violence, mais sans aucun de ces contextes. Parfois, Ana (l'héroïne) dit oui au sexe alors qu'elle est mal à l'aise, parce qu'elle est trop timide pour dire ce qu'elle pense ou parce qu'elle a peur de perdre Christian ; elle donne son consentement quand il veut lui infliger de la douleur, mais cela ne l'empêche pas d'être blessée [...] Leur relation n'est qu'un marché émotionnel". 15

    Dans le BDSM, les dynamiques de pouvoir sont supposées y être simulées, il s'agit d'un jeu explicite avec des règles et un safe word. S'il y a bien un univers dans lequel le consentement et le respect ont de l'importance ce doit être celui-là. Alors je veux bien admettre que le personnage de Vegas au départ n'est pas dépeint comme le plus fréquentable, néanmoins son côté bad boy a séduit de nombreux spectateurs et spectatrices et l'histoire qu'il vit avec Pete a été perçue au final comme romantique et "sexy" alors qu'elle est profondément toxique et asymétrique.

    Pour être honnête je pense qu'on a été quelques un·e·s à être mal à l'aise devant les scènes de viols de Love By Chance où Kengkla viole Techno dans le dernier épisode après l'avoir manipulé et fait boire. Dans Tharntype, outre la terrifiante scène finale du premier épisode où Tharn carresse Type dans son sommeil, on se souvient de la fellation forcée sous la douche, faite par Tharn dans l'épisode 3. On retrouve souvent dans les séries cette idée glaçante d'être envahi·e·s par le désir au point de violer. Non, Tharn n'est pas mû par le désir, il fait juste preuve de violence en forçant Type à subir une pipe sous la douche parce qu'il ne supporte pas (à raison) son homophobie. Ce n'est pas de la sexualité, c'est de la domination. Et non, ce n'est pas parce qu'on viole une personne que "sa vraie nature" se révélera à elle. Il en va de même pour History 4 : Close to you dans cette scène où Fu Yong Jie viole son demi-frère qu'il a volontairement fait boire. La frustration sexuelle, la volonté de contrôler l'autre ou la colère qu'on fait passer pour du désir, c'est un grand classique, ultra dangereux.

    Par ailleurs, on peut penser également à la série chinoise Addicted Heroin et les nombreux moments où Gu Hai insiste pour embrasser Bai Luo Yin, le masturber ou voir des relations sexuelles avec lui. Je salue le courage d'avoir produit une série LGBT en Chine, mais en tant que spectateur·rice on ne peut à aucun moment se réjouir de ces pratiques.

    Pour le public, quand je pense à des séries où des gens romantisent des scènes qui sont des viols, il est impossible de ne pas m'interroger. Je ne juge personne qui aime ces séries. Mais quand je vois que peu de gens sont choqués face à ces scènes, ou les trouvent "sexy", je me dis que continuer à informer c'est essentiel. Les gens peuvent adorer KinnPorsche, je n'ai aucun souci avec ça, j'aime moi-même sûrement des séries avec des scènes problématiques comme We Best Love : Fighting Mr Second. Mais, à mes yeux, il faudrait garder dans un coin de sa tête une petite alarme qui s'allume quand un consentement est outrepassé.

    Je vous vois venir avec KinnPorsche, vous allez me dire que tout se déroule dans le milieu de la mafia, qu'il y a des meurtres, des viols et qu'on ne peut pas en attendre des relations d'un romantisme absolu. Et ce n'est pas forcément faux.

    Vous me demanderez peut-être : alors quoi, on aseptise totalement les séries ? On ne montre aucune attitude problématique à l'écran ? Les séries ne devraient représenter que le réel ?

     Bien entendu, ce n'est pas ce que je pense. Mais j'aimerais que les fans ne se voilent pas la face sur certaines histoires. Ce n'est pas parce qu'on apprécie les personnages qu'on doit perdre tout esprit critique. J'ai regardé la nouvelle version de Love Mechanics. J'ai beau aimer la complicité apparente entre Yin et War, on ne peut nier que la première scène de relation sexuelle entre les deux personnages est extrêmement problématique : le personnage de Mark est totalement ivre et il est persuadé de coucher avec quelqu'un d'autre que Vee. Au réveil, il hurle de stupeur. Vee quant à lui, ne semble pas en comprendre la raison … Je ne vais pas arrêter de regarder la série pour autant, surtout que je l'apprécie, néanmoins je pense qu'il est important de voir la scène telle qu'elle est.

    En réalité, il n'est pas tant question de juger les productions elles-mêmes, les histoires qui nous sont racontées, que de s'intéresser au regard que nous posons sur ces séries. Parce que sur lui nous avons un certaine prise.

     Cela dit je ne veux pas retirer toute responsabilité au réalisateur parce que le point de vue qu'il pose sur ses personnages est essentiel. Souvent il décidera de faire traverser tout un parcours de rédemption à son héros. Est-ce que cela suffit à y voir une condamnation de ses actes ? Le message est-il assez clair ?

    Je songeais récemment à la question de la rédemption en regardant la série thaïlandaise, qui n'est pas un BL, F4 Thailand (remake de Hana Yori Dango). On y suit notamment le parcours de Thyme, un personnage socialement privilégié, qui fait preuve d'une grande violence en harcelant ses camarades de lycée (intimidations, coups, humiliations, règne de la terreur). Et je restais plus que circonspecte quant au fait qu'en tant que spectateur·rice on devait finir par être compatissant.e et être touché.e par la romance qu'il vit avec l'héroïne.

     Il en va de même pour le personnage de Vegas. L'argument visant à dire qu'on peut pardonner à un personnage violent la séquestration et les tentatives de viol, parce qu'il a trop de pression sur les épaules, me laissera toujours pantoise. Encore une fois, ce n'est pas tant l'histoire que je critique que les émotions qu'est supposé.e ressentir le/la spectateur·rice.

    Dans la vie trouveriez-vous normal qu'une personne attirée par vous vous poursuive et réitère ses avances malgré vos refus ? Les crises de colère sous prétexte de jalousie vous attirent ? Trouvez-vous sexy qu'une personne rejetée vous empoigne avec violence sans votre consentement ?

    Si vous avez répondu par l'affirmative à ces questions, je pense qu'il est temps de vous questionner sur l'impact que les livres et les films ont eu sur votre vision des rapports amoureux. Si ce n'est pas le cas, pourquoi tout ceci est présenté comme attirant ? Et pourquoi nous regardons parfois ces scènes en les jugeant excitantes ou romantiques ?

    Revenons au regard du réalisateur. Eh bien justement, j'ai un exemple d'un instant précis, dans lequel l'absence de consentement me semble plutôt bien traitée. La série Why R U ? est célèbre notamment pour ses scènes assez explicites (on est loin de KinnPorsche, mais lors de sa sortie la série plaisait pour son absence de pudibonderie). Cependant, elle n'est pas exempte de moments problématiques. Cela dit, on se souvient de la scène de l'épisode 13 où suite à une rupture, Fighter entre de force dans la chambre de Tutor, l'embrasse et le touche alors que ce dernier refuse. Ce qui est tout à fait appréciable dans cette scène c'est que son geste n'est pas encouragé : Tutor lui demande l'air grave « Tu es content de toi, P'Fight ? ». C'est à ce moment-là que Fighter réalise la gravité et l'inutilité de son geste, et s'assied sur le sol comme figé. Il me semble, que le regard du réalisateur condamne, par l'intermédiaire de Tutor, l'attitude de Fighter.

     Cela dit, certaines séries font le choix de retracer le désormais traditionnel schéma de enemies to lovers sans pour autant tomber dans ces notions de violence. Bad Buddy me semble être à bien des égards le parfait exemple du BL tel qu'il devrait être : il dépeint une relation d'égalité, où le consentement est respecté tout au long de la série, avec des personnages qui ne sont en aucun cas toxiques. 

    14 - Pour aller plus loin, écoutez le podcast « KinnPorsche The Series and Sexual Abuse » https://loveboysinfo.podbean.com/e/episode-4-kinnporsche-the-series-and-sexual-abuse-english/

    15 - https://www.theatlantic.com/culture/archive/2015/02/consent-isnt-enough-in-fifty-shades-of-grey/385267/

     

    Le pouvoir de la suggestion

     

    Les BL coréens, à ma connaissance, ne comportent pas de scènes aussi violentes que certaines que je dénonce dans cet article et pourtant ils ont un grand succès (je pense à Semantic Error par exemple). Mais j'ai conscience qu'auprès d'un certain public, les scènes plutôt chaudes sont très demandées. Je dois admettre qu'en tant que spectactrice, pour moi ce n'est jamais un indispensable. D'ailleurs, je pense que parfois c'est en montrant le moins qu'on en dit le plus. Est-ce qu'on a vraiment besoin de non-consentement pour ressentir les personnages être bouleversés de désir ? Eh bien j'ose espérer que non. Je vais citer ma série préférée, I Told Sunset About You, parce qu'elle montre pour moi les plus belles scènes de désir. Il suffit que Teh et Oh-Aew se tournent littéralement autour dans la demeure familiale de ce dernier, dans un moment suspendu, sous l'escalier ou que l'un gratte le dos de l'autre, pour que le spectateur ressente l'attirance incroyable qui lie les deux garçons. Ces scènes ne comportent même pas de baisers et pourtant elles sont d'une intensité folle.

     J'entends par ailleurs, dans la vie réelle, des personnes dire que questionner ses partenaires avant l'acte sur leurs envies ou leur demander la permission de les embrasser retirerait une part de magie au moment. J'aimerais que cette pensée cesse d'être partagée et qu'on grave sur les murs que le consentement est sexy. Pour moi penser le contraire c'est très dommageable pour tout le monde.

    Certaines scènes de BL récents montrent enfin un consentement éclairé. Je pense à Not Me notamment. Le moment où Sean et Black sont dans une tente, dans l'épisode 9 est une des rares scènes de BL où les questions sont posées distinctement par les deux partenaires : "Dis-moi si tu aimes ce que je te fais ... Tu aimes ?". C'est à mes yeux une des plus belles scènes d'amour toutes séries confondues.

    Je salue également The Eclipse, pour la superbe scène de consentement éclairé où Aye demande à Akk : "Je peux t'embrasser ? Si tu n'aimes pas ou si tu te sens mal, dis-le moi. J'arrêterai". Et pour finir, Between Us, série dont j'apprécie assez peu la relation mais qui dès le premier épisode nous propose également une scène où Win interroge Team sur son envie.

     

    De l'importance de la représentation

     Depuis l'enfance on nous inculque que La Belle, victime d'un bon gros syndrome de Stockholm qui se fait séquestrer par la Bête, ce serait le comble du romantisme. Tiens tiens, ça ne vous rappelle pas la relation entre Vegas et Pete ? Si on avait pu s'épargner ces histoires de personnages masculins toxiques transformés par le pouvoir de l'amour, on aurait probablement vu naître moins de couples asymétriques avec des femmes atteintes du fameux « syndrome de l'infirmière ». Mais je m'égare. Vous l'avez compris, ce n'est pas tant que j'attende de Vegas et Pete une relation saine, par contre, j'attends du spectateur un regard distancié.

     Dans le cas des BL c'est aussi important de penser les séries en termes de représentations qu'on donne des minorités. Ça me hérisse le poil de voir qu'encore aujourd'hui les personnes LGBT sont parfois invisibilisé·e·s ou traité·e·s comme dangereux·se·s. Oui MAME16, c'est à toi que je pense. C'est problématique pour moi de représenter des scènes de viol dans des séries présentant des personnages gays et de romantiser ça parce que ça renvoie à tout un pan du cinéma où la personne homosexuelle était vue comme perverse. Il y a eu beaucoup de films où la figure de l'homosexuel "traquait" littéralement le pauvre hétérosexuel pour abuser de lui17. Eh bien typiquement quand je pense à TharnType, on en est pas si loin et ça n'aide en rien la cause.

    En Thaïlande, par exemple, les BL ont une telle force de frappe qu'ils ont aussi contribué à leur échelle à des avancées sociales/sociétales ou à défaut à une re/sur-"visibilisation" des minorités. Ce qui n'est pas rien. On ne peut pas juste se laver les mains des scènes de viol, au contraire, c'est parce que le public ouvre sa bouche que les choses tendent à changer et que les productions deviendront plus attentives. Je reconnais à MAME par exemple une évolution avec la série Don't Say No, qui est nettement moins problématique. Elle a probablement pris en compte la pluie de critiques qui s'est abattue sur elle suite à TharnType18.

     

    Vous l'aurez compris, comme cela se dit sur le féminisme en général, être attentif.ve aux problématiques de consentement c'est comme avaler la petite pilule rouge qui fait voir le monde différemment. Une fois qu'on a ouvert les yeux, on ne peut plus revenir en arrière. Alors oui, voir les mécanismes oppressifs ça perturbe, ça modifie le visionnage des séries mais c'est indispensable.

    N'hésitez pas à débattre (avec respect) dans les commentaires ! Cet article est fait pour ça

     

    16 - MAME a écrit Love By Chance et TharnType, entre autres.

    17 - Je vous renvoie à l'excellent documentaire The Celluloid Closet de Rob Epstein qui retrace les représentations de l'homosexualité des origines du cinéma aux années 1990.

    18 - Je vais rapidement revenir sur ce que j'écrivais ici. C'était avant de regarder Love in the air, la nouvelle série de MAME : stalking, chantage, forcing ... Tout y est dès les deux premiers épisodes. Il semblerait finalement que MAME n'ait pas changé d'un iota !

    BL et consentement

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